On ne renonce jamais vraiment, on a besoin de croire que tout n'est pas perdu, on se rattache à un fil, même le plus ténu, même le plus fragile. On se répète que l'autre va finir par revenir. On l'attend. On se déteste d'attendre mais c'est moins pénible que l'abandon, que la résignation totale. Voilà : on attend quelqu'un qui ne reviendra probablement pas.
Hélène a vu en direct à la télévision les images d'un tremblement de terre dévastateur dans une ville lointaine ; son mari séjournait là-bas, à ce moment précis.
Mathieu, quant à lui, a trouvé un jour dans un appartement vide une lettre de rupture.
Ces deux-là, qui ne se connaissent pas, vont se rencontrer par hasard à Lisbonne. Et se parler.
Une seule question les taraude : comment affronter la disparition de l'être aimé ? Et le manque ?
Au fil de leurs déambulations dans cette ville mélancolique, dont la fameuse saudade imprègne chacune des ruelles tortueuses, ne cherchent-ils pas à panser leurs blessures et à s'intéresser, de nouveau, aux vivants ?
Il traverse le hall de l’hôtel, d’un pas lent. Il a marché tout l’après -midi, au hasard des rues de la ville - labyrinthe, aux heures les plus violentes. Il rentre à peine, la chaleur du dehors pèse encore sur ses épaules, l’obligeant à cette lenteur.
(...)
Il a pris soin de porter des vêtements légers, des couleurs claires, mais le tissu colle à son dos humide, il songe qu’il lui faudra plusieurs minutes pour se débarrasser de la moiteur.
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La femme brune est là comme chaque jour. Elle est assise dans un des fauteuils, laissant traîner un magazine sur la table basse à côté d’elle, ne touchant pas au verre qu’elle a commandé. Elle a les yeux perdus dans le vide. Il voit cela la fixité du regard, la cécité du regard.
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elle a toujours aimé les ports, elle en ignore la raison, ça ne vient même pas de son enfance, elle est née à Paris, a grandi loin de la mer. Mais voilà, les bateaux qui s’en vont, ceux qui reviennent, les sirènes des ferries, le glissement des voiliers, la majesté des paquebots, même les chalutiers qui vomissent leurs marchandises, toute cette agitation lui plaît.
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Lui, il comprend ce goût, il le partage. Il a toujours cherché à savoir où partaient les cargos, vers quels continents. Il a rêvé d’Afrique, de Brésil,
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Il s’intéresse aussi aux marins, aux hommes dans l’effort, à leur rudesse , troublé par ce qu’ils dégagent. Et plus que tout, il est fasciné de constater à quel point, ici en particulier, le sel corrode tout s’attaque à la pierre.
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c’est agréable. Ça change. Il aime les hanches étroites, la peau douce, les seins rebondis, les cris menus pendant les entrelacements, cet abandon. La seule chose qu’il redoute, en vérité, c’est l’attachement. Les garçons, au moins, ne s’éprennent jamais, ils n’ont pas de sentiments, n’attendent rien, ils sont délicieusement infidèles. Les filles, quelquefois, restent là, la tête posée sur son torse, caressant son ventre, ça l’effraie. Lui, dans ses cas là, retire la main de la rondeur de l’épaule, tente de se désencastrer, file sous la douche, elles comprennent. Néanmoins, il pourrait dire la couleur des yeux des filles. A propos des garçons, il n’a pas ce genre de souvenirs.
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il il y a des gens qui ferment les yeux pour oublier, qui se détournent pour ne pas se confronter à l’insoutenable, qui rejettent le malheur à distance pour ne pas être corrodés par lui. Et il y a les autres, qui décident de se frotter à l’enfer, qui traquent une vérité au risque de se blesser contre elle, qui avancent face au danger. Elle s’est imaginée être de ceux-là, les valeureux, les inconscients.
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Les passants de Lisbonne - Philippe Besson
" On ne renonce jamais vraiment, on a besoin de croire que tout n'est pas perdu, on se rattache à un fil, même le plus ténu, même le plus fragile. On se répète que l'autre va finir par reveni...
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Éditeur : EDITIONS JULLIARD (07/01/2016)