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A partir de modèles classiques, penser l'Europe de demain ?

15 Décembre 2021, 00:42

Nous reprenons la conclusion d'un article de Maurizio Bettini, intitulé : « cancel culture », c’est du latin ! Outre le fait qu'il critique justement le jeu de la cancel culture qui veut annuler avec des mots d'origine latine ce qu'elle décrie de fâcheusement relevant de l'antiquité, qui nous imprègne qu'on le veuille ou non... la conclusion de la démonstration nous semble faire écho à une pensée sur l'Europe que nous voulons... qui mérite réflexions et discussions en cette année d'élection présidentielle... si jamais la question européenne entre dans le débat, ce que nous espérons !

Voici maintenant le mythe grec qu’on pourrait comparer avec le mythe romain que je viens de raconter. Il s’agit d’un autre mythe de fondation, qui parle aussi de terre, d’origine et des peuples, mais qui transmet un message tout à fait opposé au mythe de l’asylum et des mottes de terre : il s’agit de l’autochtonie athénienne. Ce mythe prétendait que les Athéniens seraient issus « de cette terre même » sur laquelle ils vivaient – c’est le sens littéral du mot « autochtonie », « autochton » : ils veulent dire par là qu’ils sont « nés » de la terre Attique, qu’ils ont été les premiers habitants de ce sol, et donc les seuls dignes d’y résider.

Cependant, à Athènes, la tendance à l’exclusion ne venait pas que du mythe, elle était aussi présente dans le droit. En effet, on ne pouvait pas devenir citoyen, comme à Rome : on l’était. Seuls les fils de parents tous deux Athéniens pouvaient jouir de ce privilège, tandis que tous les autres – étrangers, métèques et esclaves – n’avaient aucune possibilité d’y prétendre. Le modèle de l’autochtonie véhicule donc l’image d’une culture qui, à l’inverse de la vision romaine, place son identité uniquement en elle-même : tandis que la culture romaine est « excentrique », en fondant son identité sur les hommes venus du « dehors » et sur leur mélange, la culture athénienne se veut, elle, « autocentrique », comme cela se voit dans plusieurs mouvements identitaires d’aujourd’hui. Le contraste entre les deux mythes, le romain et le grec, ne pourrait être plus explicite : à Athènes, c’est la terre qui produit les hommes, à Rome, ce sont les hommes qui produisent la terre.

En conclusion le mythe de la fondation de Rome – mélange d’hommes, mélange de terres – ne fait que donner une réalité concrète à la représentation symbolique et durable que les Romains ont voulu donner d’eux-mêmes : le mélange, la multiplicité, le mouvement. Dans ce mythe d’origine, les Romains avaient en somme laissé une place non seulement à l’altérité, à la diversité, mais jusqu’à la possibilité d’être à la fois soi-même et autre. La culture romaine n’hésite pas à se définir comme un passage, à situer son identité également en dehors d’elle-même.

L’identité des Romains, s’ils en ont une, est de nature « excentrique »: c’est pourquoi leur civilisation peut encore offrir un modèle valable pour une Europe dans laquelle il est de plus en plus nécessaire d’être à la fois soi-même et autre, citoyens d’un pays et en même temps citoyens d’une communauté de pays : une Europe qui, tout au contraire, s’entête parfois à se trouver en se morcelant en une pluralité de (prétendues) nations souveraines centrées sur elles-mêmes, en suivant ainsi la voie athénienne de l’autochtonie et de la fermeture.

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