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Pourquoi le changement de titre des «Dix petits nègres» indigne tant la France?

5 Septembre 2020, 17:24

James Prichard a fait rebaptiser le plus fameux roman de son arrière-grand-mère Agatha Christie en «Ils étaient dix». Une œuvre qui n'en est pourtant pas à une variation de titre près.

«Absurde», «monstrueux» voire «misérable»… quelle est donc cette terrible nouvelle qui a soulevé tant de protestations en cette veille de rentrée 2020? Pour susciter une telle vague d'indignations, il a suffi que James Prichard, arrière-petit-fils de la papesse du polar Agatha Christie, annonce sa décision de rebaptiser Dix petits nègres, son plus fameux roman, d'un nouveau titre (Ils étaient dix) afin d'en ôter la dimension raciste, susceptible selon les termes de Prichard de «blesser». Une révolution? Pas vraiment. Le livre paru au Royaume-Uni en 1938 sous le titre de Ten Little Niggers a été publié aux États-Unis en 1940 sans que jamais le mot raciste «nègre» n'apparaisse, les éditeurs locaux ayant opté pour And Then There Were None («Et soudain il n'en resta aucun») avec l'assentiment d'Agatha Christie. Celle-ci avait, selon l'historien Jean Garrigues, «elle-même reconnu l'utilité de changer le titre au début des années 1940 aux États- Unis», car elle «sentait […] le poids négatif que ça pouvait jouer sur des populations» . Il en a été de même dans plusieurs traductions comme en Allemagne dès 1944 et en Italie en 1946. Au Royaume-Uni, le titre raciste a été finalement abandonné en 1980. (...) Indubitablement, «nègre» est un terme raciste. Le lexicologue Jean Pruvost raconte ainsi à France Inter la genèse du mot «apparu en 1529» dans le but de «désigner une personne inférieure». Il rappelle qu'en «1704 il s'agit de parler d'esclave» et qu'en «1740, dans les mémoires de Saint-Simon, on comprend que “traiter comme un nègre”, est clairement péjoratif». (...) Alors qu'Agatha Christie a accepté le choix de la suppression du terme raciste il y a quatre-vingts ans, notre pays est un des derniers à recourir à ce titrage raciste. Le mot «nègre» a finalement disparu dans sa langue d'origine sans que cela ne suscite de telles controverses. (...) À mon sens, cela témoigne non seulement d'un manque de considération et de respect pour ses concitoyen·nes mais aussi d'un besoin irrépressible d'écraser les voix subalternes. Il s'agit pour les personnes qui font la promotion de ce mot odieux d'asseoir une position dominante qui n'existe que dans le maintien de rapports de force issus de cette histoire ancienne dont elles devraient avoir honte au lieu de la brandir comme une précieuse tradition.

Alors qu'Agatha Christie a accepté la suppression du terme raciste

il y a quatre-vingts ans,

notre pays est un des derniers à recourir à ce titrage.

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